De nouvelles données indiquent que les tumeurs possèdent un microbiote, dont la composition dépendrait du type de cancer. Des bactéries se trouveraient à l’intérieur même de cellules cancéreuses ainsi que dans les cellules immunitaires adjacentes. Ce sont les étonnantes découvertes publiées récemment dans la revue scientifique Science.

Plus de 1500 tumeurs analysées contenant pas moins de 9000 espèces bactériennes

La découverte de bactéries au sein de tumeurs humaines ne date pas d’hier. En effet, leur détection s’est faite pour la première fois il y a plus de 100 ans. Néanmoins, leur caractérisation était rendue compliquée du fait de la faible biomasse observée.

Dans cette étude, leur analyse s’est avérée possible. Pour ce faire, 1526 tumeurs provenant de 7 types de cancers différents (cancer du sein, des ovaires, poumons, pancréas, os, peau et cerveau) sont passées au crible.

9160 espèces bactériennes différentes sont recensées dans les tumeurs suite à l’étude du matériel génétique (ADN, ARN) et de protéines. Les possibilités de contamination ont été évincées grâce à la mise en place de mesures de contrôle.

Un microbiote dépendant du type de tumeur

Le matériel génétique bactérien des cellules cancéreuses varie en fonction du type de cancer.

Ainsi 14% des tumeurs de la peau (mélanomes) contiennent de l’ADN bactérien contre 60% dans les cancers du sein. De l’ADN bactérien a également été observé dans les tissus qui ne sont pas en contact avec l’environnement comme le cerveau, les ovaires et les os.

Le cancer du sein se démarque par rapport aux autres étudiés. Ces tumeurs possèdent un microbiome dont la composition est plus riche et diversifiée que les autres. En moyenne, 16 espèces bactériennes différentes sont détectées dans un seul échantillon contre moins de 9 dans les autres types de cancer.

De même, les chercheurs constatent que la charge et la richesse bactérienne étaient plus élevées dans les échantillons de sein avec tumeurs que dans les échantillons de sein issus de femmes en bonne santé.

Des bactéries vivantes

Les prélèvements ADN n’indiquent toutefois pas si les bactéries sont vivantes ou non. Dans le but de connaître leur potentielle viabilité, les chercheurs ont prélevé :

  • des cellules issues des tumeurs ;
  • du tissu sain adjacent provenant de femmes opérées récemment du cancer du sein.

Ces prélèvements ont été déposés sur 35 types de milieux de croissance et ont ensuite été incubés dans des conditions d’aérobies et anaérobies afin de couvrir le maximum de bactéries possibles. Après coloration, ils ont été analysés par microscopie électronique.

Résultats : les bactéries identifiées présentent des signes de vie, observées par l’apparition de colonies. Elles sont généralement intracellulaires que ce soit dans les cellules cancéreuses ou les cellules immunitaires accolées à la tumeur.

Les résultats obtenus nous amènent à la question suivante : comment ces bactéries se sont-elles retrouvées au cœur des cellules tumorales ? Selon les chercheurs, elles ont pu être transportées intactes ou fragmentées directement par les cellules immunitaires ou cancéreuses ayant migré jusqu’au site. La vascularisation désorganisée et perturbée des tumeurs ainsi que l’affaiblissement des réponses immunitaires de l’hôte pourraient permettre aux bactéries circulantes de pénétrer dans les cellules et de s’y installer. Elles pourraient également être issues des tissus normaux adjacents, expliquant les similitudes entre microbiotes sain et tumoraux.

À ce stade, le rôle de ces bactéries n’est pas encore établi. Jouent-elles un rôle dans le développement du cancer ? Ou reflètent-elles l’infection de tumeurs déjà établies ? Des recherches complémentaires sont à envisager pour répondre à cette problématique.

 

À partir de ces données, il n’est pas impossible d’imaginer que la manipulation de ces bactéries puisse influencer la réponse aux traitements. En effet, dans cette étude, la richesse en certaines bactéries dans les mélanomes avait une influence sur la réponse au traitement. De plus, d’autres preuves ont mis en évidence qu’une modification du microbiote intestinal influençait l’efficacité des immunothérapies. De belles perspectives de recherches scientifiques à venir !

LC

Référence

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